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Si « par contre » a si mauvaise presse, c’est la faute à Voltaire !
Vous a-t-on déjà repris quand vous dites « par contre » ? Vous a-t-on expliqué qu’il fallait utiliser, par exemple, « en revanche » à la place pour parler et/ou écrire un français châtié ? Vous allez voir que les puristes n’ont pas forcément raison et que la vérité, comme souvent, a beaucoup de nuances.
Un diktat voltairien
Incroyable, mais vrai : on atteste pour la première fois de l’emploi de la locution « par contre » dans un texte écrit au XVIe siècle, de surcroît signé par Jean Calvin. Vous savez, ce théologien et pasteur français, emblématique de la Réforme. A priori, pas un rigolo, donc. À la même époque, des équivalents naquirent en Italie, per contro, et en Angleterre, per contra (issu du latin). Il n’y aurait donc pas de quoi fouetter un chat.
Cependant, environ deux cents ans après, en 1737, Voltaire s’en mêla. Pour lui, « par contre », très employé dans le langage commercial, ne devait pas quitter les limites de ce dernier. Naturellement, il ne donna aucune explication pour justifier ce diktat… Ce qui suffit apparemment pleinement pour convaincre Émile Littré : dès la première édition de son Dictionnaire de la langue française (1863-1872), ce dernier confirma le statut de persona non grata de « par contre ».
Deux fans surprenants
En réalité, le fameux grammairien avait tout copié sur l’Académie française ! La vénérée institution avait en effet validé l’emploi de « par contre » dans les écrits commerciaux dès 1835… Pour la rejeter un siècle plus tard, avant de la réintroduire en 1988, suggérant cependant d’employer de préférence d’autres locutions, comme « en revanche » ou encore « en compensation ».
Notons cependant que Grevisse, un autre immense gardien de notre langue, se présenta en son temps comme un grand fan de la fameuse expression mal aimée. Pour lui, « par contre » était entrée « dans l’usage général, même le plus exigeant, au cours du XIXe siècle ». Et de citer pour sa défense les plus grands de nos écrivains, comme Maupassant, Proust, Bernanos, Saint-Exupéry ou encore Montherlant, qui l’employèrent souvent.
Quand Gide s’en mêle
Il est vrai que selon l’un de nos plus grands auteurs, André Gide, « par contre » n’aurait jamais dû faire débat. Car pour le prix Nobel de littérature, les locutions plébiscitées à la place par les puristes — « en revanche » et « en compensation » — ne sont pas toujours idéales. Il dit ainsi : « Trouveriez-vous décent qu’une femme vous dise : “Oui, mon frère et mon mari sont revenus saufs de la guerre ; en revanche j’y ai perdu mes deux fils” ? ou “La moisson n’a pas été mauvaise, mais en compensation toutes les pommes de terre ont pourri” ? »
Au final, que pouvons-nous en conclure ? Eh bien, d’abord une bonne nouvelle : quand vous ponctuez votre conversation d’un « par contre », les gardiens du temps ne devraient pas vous cataloguer parmi les gueux et autres ignorants qui maltraitent la langue de Molière. En revanche — sans vouloir faire de l’humour mal placé — mieux vaut l’éviter quand vous vous exprimez à l’écrit ou dans un contexte nécessitant de surveiller son langage…