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Ferenc Puskás, Magic Magyar

 

 

Je n’aime pas le foot, mais alors pas du tout ! Mais une fois n’est pas coutume, je vais faire une exception. Alors que l’Euro 2024 bat son plein en Allemagne, il me semble intéressant de dresser le portrait de l’un des meilleurs joueurs des années 1950, voire de tous les temps, le Hongrois naturalisé espagnol Ferenc Puskás. En effet, l’équipe nationale de Hongrie, qui avait disparu des radars des compétitions internationales pendant plusieurs décennies, fait un (timide) retour depuis 2016. Sera-t-elle un jour à la hauteur de la réputation du fameux « Onze d’or » magyar ? En attendant, faisons un bond en arrière pour revisiter le parcours étonnant de l’un des grands maîtres du ballon rond, Ferenc Puskás.

Footballeur de père en fils

Le futur numéro dix de l’équipe légendaire hongroise naquit le 1er avril 1927 à Budapest, une date tellement synonyme de blagues qu’elle lui fit prendre l’habitude de célébrer son anniversaire le 2. Son père, Ferenc Purczeld, était un ancien footballeur du Kispest FC devenu entraîneur, tandis que sa mère, Margit Bíró, était couturière. Ils vivaient dans un modeste immeuble de Budapest, dans le quartier de Kispest. À l’âge de 10 ans, le petit Ferenc changea de patronyme, son père ayant décidé de magyariser son nom d’origine souabe. Désormais, la famille se nommait Puskás (ce qui signifie « fusilier »).

Des prédispositions incroyables

Très tôt, l’enfant montra des aptitudes exceptionnelles pour le ballon rond. Comme sa famille ne roulait pas sur l’or, Ferenc Puskás jouait avec un ballon de fortune, fait de lambeaux de tissu. Il passait des heures et des heures sur un terrain tout proche de la maison à faire des passes, dribbler et marquer des buts avec ses camarades, dont son meilleur ami József Bozsik, de dix-huit mois son aîné et lui aussi future gloire du football magyar. À douze ans, ce dernier fut sélectionné pour entrer dans l’équipe des minimes du Kispest AC. Ferenc supplia le directeur du club de le prendre aussi, tant et si bien que le futur champion vit son rêve exaucé, avec le concours d’une fausse carte d’identité !

« Petit frère »

À quinze ans, Ferenc intégra l’équipe des adultes, toujours grâce à ses faux papiers, peu de temps après la nomination de son père au poste d’entraîneur. Le jeune garçon joua son premier match à l’automne 1943, à la faveur du désistement de plusieurs ténors de l’équipe dû à une épidémie de grippe. C’est à cette époque que ses coéquipiers baptisèrent le jeune prodige « petit frère » (« Öcsi »), un surnom qui allait lui rester en Hongrie. Toujours de bonne humeur, ce gaucher savait aussi très bien jouer avec son pied droit, enchaînant les mouvements avec grande précision. La grande puissance de ses jambes et de son buste compensait largement son 1,72 m et son allure trapue. La carrière d’Öcsi ne tarda pas à devenir internationale : à dix-huit ans, Ferenc Puskás fut sélectionné dans l’équipe nationale pour un match contre l’Autriche, remporté 5 à 2 par les Hongrois.

Le major galopant

À partir de 1949, alors que la dictature communiste était déjà bien installée en Hongrie, le club passa sous la houlette du ministère des Sports, puis du ministère de la Défense. Il prit alors le nom entré dans la légende de Honvéd, c’est-à-dire « protecteur de la patrie ». En échange, les joueurs obtinrent des grades dans l’armée. C’est ainsi que Ferenc Puskás devint le « major galopant ». Pendant sa première année dans l’équipe, l’attaquant marqua cinquante buts, devenant le meilleur buteur de la saison. L’équipe de Honvéd remporta cinq fois le titre de champion de Hongrie avec Puskás. C’est à cette époque qu’il rencontra sa future femme, Erzsébet Hunyadvári. Ils accueillirent en 1952 une fille, Anikó.

Le match du siècle du « Onze d’or »

Grâce à Puskás, l’équipe nationale hongroise devint la meilleure qu’eut jamais le pays. Baptisée le « Onze d’or », elle resta longtemps invaincue. Ainsi, entre le 14 mai 1950 et jusqu’au 4 juillet 1954, elle gagna trente-deux rencontres, mais n’en perdit aucune ! Rapidement, les noms de Puskás et de ses camarades Grosics, Buzánszky, Bozsik, Hidegkuti et Kocsis, entre autres, firent le tour du monde. Parmi les grandes victoires des Hongrois, citons la médaille d’or des Jeux olympiques d’Helsinki en 1952, puis le championnat d’Europe l’année suivante. En finale, Puskás et ses camarades pulvérisèrent l’équipe italienne à Rome 3 à 0, devant quatre-vingt mille spectateurs ! Pendant la compétition, le major galopant signa dix buts, dont deux pendant le match décisif. Toujours en 1953, le Onze d’or remporta sans doute sa plus belle victoire. Le 25 novembre, les Hongrois affrontèrent au stade de Wembley l’équipe d’Angleterre, jusque-là invaincue à domicile, pendant une rencontre surnommée ensuite « le match du siècle ». Jugez plutôt : les Magyars ne marquèrent pas moins de six buts — dont deux signés Puskás —, en encaissant tout de même trois. Très choqués, les Anglais, qui s’étaient bien moqués du major en raison de sa petite taille et de son léger embonpoint, n’en croyaient pas leurs yeux. Pour Ferenc, cette victoire fut la plus belle de toute sa carrière. En mai 1954, les Hongrois en remirent une couche contre les Anglais, cette fois à Budapest, les battant à plate couture 7 à 1.

La déconfiture du « miracle de Berne »

Grâce à ce parcours sans faute et cette aura de gloire, il était acquis pour tous que l’équipe nationale hongroise remporterait la Coupe du monde, organisée en Suisse. Ferenc Puskás et ses camarades démarrèrent les festivités en marquant neuf fois contre la Corée du Sud, puis en battant 8 à 3 les Allemands. Malheureusement, Puskás se blessa à la cheville pendant cette rencontre et fut contraint de ne plus jouer jusqu’à la finale. Même s’il ne s’était pas encore totalement remis, le major galopant ne pouvait pas manquer ce match, qui devait consacrer la suprématie hongroise sur le football mondial. Pour cette finale de la Coupe du monde à Berne, le Onze d’or retrouva la sélection allemande, celle-là même qu’il avait largement dominée au tout début de la compétition. Au début de la première mi-temps, la Hongrie prit le dessus, marquant à deux reprises, dont une fois Puskás. Décidés à ne pas subir une nouvelle défaite face aux Hongrois, les Allemands égalisèrent en dix minutes. Puis pendant les soixante-cinq minutes suivantes, aucune des deux équipes ne réussit à passer les lignes de la défense adverse. Ce n’est qu’à la quatre-vingt-quatrième minute que Helmut Rahn transperça les buts de Gyula Grosics. Contre toute attente, le Onze d’or avait perdu la bataille et cette déconfiture devint pour les Allemands victorieux « le miracle de Berne ». Ils venaient de mettre fin à quatre ans et demi de domination hongroise sur la planète foot.

La fin du Onze d’or

Après cet échec inattendu, Puskás regagna Budapest et réintégra son équipe du Honvéd. En octobre 1956, alors que la Révolution hongroise faisait rage, le légendaire numéro 10 se trouvait en Espagne avec ses coéquipiers. Honvéd perdit 2 à 3 contre Bilbao. En raison des turbulences politiques en Hongrie, les joueurs restèrent sur place, puis s’envolèrent pour une tournée en Amérique du Sud. De retour en Europe en janvier, alors que les espoirs hongrois de libération du joug soviétique étaient partis en fumée, Puskás et plusieurs de ses camarades décidèrent de rester en Autriche. C’en était fini du Onze d’or.

 

En raison de sa situation d’émigré, Puskás fut interdit de compétition par la FIFA pendant dix-huit mois. Il quitta Vienne pour l’Italie pour préparer son retour à la compétition. Malheureusement, la plupart des clubs ne voulurent d’abord pas de lui, en raison de son grand âge — plus de trente ans ! — et de sa corpulence. En 1958, Santiago Bernabéu, président du Real Madrid, demanda à son bras droit et ancien directeur technique du Honvéd, le Hongrois Emil Östreicher, de renforcer l’équipe. Naturellement, ce dernier plaida pour que son vieil ami Ferenc rejoigne l’Espagne, à l’instar d’autres membres du Onze d’or comme Kocsis et Czibor, évoluant déjà dans la péninsule ibérique. L’interdiction de jouer de Puskás venait justement d’être levée et le Real Madrid avait remporté pour la troisième fois consécutive la Coupe d’Europe.

49 buts pour le Real Madrid

Rapidement, le major galopant, délesté entre-temps de 18 kg, se lia d’amitié avec l’un des attaquants du Real, l’Argentin naturalisé espagnol Alfredo Di Stéfano. Leur association, aux côtés de Raymond Kopa et de Francisco Gento, fit des miracles pour le club espagnol. Le Real Madrid devint la meilleure équipe d’Europe, remportant victoire sur victoire, trophée sur trophée. En 1959, Puskás inscrivit quarante-neuf buts en trente-six rencontres en faveur du Real. Un triomphe ! Il connut un nouveau succès phénoménal en mai de l’année suivante à Glasgow, lors de la finale de la Coupe des Clubs Champions, marquant quatre des sept buts encaissés par l’Eintracht Francfort. Sans surprise, le Hongrois garda sa couronne de meilleur buteur du Real intacte, avec trente-cinq buts en trente-neuf matchs pendant la saison.

Élu quatre fois meilleur buteur

Très apprécié par les supporters madrilènes non seulement pour son génie footballistique, mais aussi pour ses qualités humaines, Puskás fut surnommé en Espagne Pancho (pour « François », autrement dit « Ferenc ») ou encore Cañoncito Pum, pour rendre hommage à ses puissants tirs de gaucher et à ses buts. Désigné pour la quatrième fois meilleur buteur en 1961, il obtint la nationalité espagnole la même année, représentant donc les couleurs de l’Espagne à la Coupe du monde de 1962 au Chili. Las, à trente-cinq ans, le fabuleux buteur déçut les espoirs de tout un pays, ne trouvant jamais la voie vers le fond de la cage de l’adversaire.

Dernier match international

Ferenc Puskás joua son dernier match international le 23 octobre 1963 contre l’équipe d’Angleterre, perdu par l’Espagne 2 à 1. Trois ans plus tard, à l’aube de ses quarante ans, le Hongrois rangea définitivement ses crampons pour devenir, comme son père en son temps, entraîneur. Cette nouvelle carrière ne fut pas sans remous, l’ancien buteur tentant sa chance à Alicante, puis à San Francisco et même au Canada, avant de revenir en Espagne, puis finalement s’installer en 1970 en Grèce, au fameux Panathinaikos. Puskás y resta quatre ans : sous son égide, le club athénien remporta notamment deux fois le championnat grec. Les années suivantes, l’entraîneur s’illustra de nouveau en Espagne, puis au Chili et même en Arabie Saoudite, regagnant finalement la Grèce. Enfin entre 1979 et 1984, il entraîna le club égyptien de Masri.

Retour au pays

Au début des années 1980, l’espoir d’un retour au pays du dissident se dessina. Jusqu’alors, le nom de Puskás, en raison de sa fuite ou plutôt de son non-retour en Hongrie après les événements de 1956, sentait le soufre dans sa contrée natale. Pendant des années, les journalistes n’eurent tout simplement pas le droit de le mentionner. En 1981, après vingt-cinq ans d’absence, l’idole de l’âge d’or du football hongrois foula de nouveau les rues de Budapest. Il commença par se rendre au cimetière pour rendre hommage à ses défunts parents. Ce n’est que dix ans plus tard qu’il s’installa de nouveau pour de bon en Hongrie. Devenu citoyen d’honneur de Kispest, Ferenc Puskás fut nommé en 1993 sélectionneur de l’équipe nationale hongroise, mais ne réussit pas à la faire qualifier pour la Coupe du monde qui se tint l’année suivante aux États-Unis.

Meilleur sportif du siècle

De nouveau une démocratie, la Hongrie des années 1990 rendit de nombreux hommages à son meilleur joueur de football, qui multiplia les médailles et autres distinctions honorifiques. Il fut ainsi nommé meilleur sportif du siècle en 2001. Malheureusement, la santé du légendaire meneur de jeu commençait déjà à vaciller. Atteint d’Alzheimer à partir de 2000, Puskás vit son état se dégrader rapidement deux ans plus tard. Apprenant que ce dernier ne pouvait pas payer son coûteux traitement, son ancien club, le Real Madrid, ainsi que son ex-coéquipier Alfredo Di Stéfano se mobilisèrent pour couvrir les frais. On dit aussi que l’ancien numéro dix fut contraint de vendre ses chers trophées aux enchères afin de régler ses factures médicales…

Deuil national

Pour les soixante-quinze ans du major galopant, Budapest rebaptisa son principal stade de football (à l’époque) Puskás Ferenc (en hongrois, le nom est toujours placé avant le prénom). Le grand sportif ne put profiter de cet énième hommage, car il passait désormais ses jours et ses nuits à l’hôpital. Il ne quitta d’ailleurs plus l’établissement, où sa femme venait lui rendre visite chaque jour. En septembre 2006, souffrant d’une pneumonie et d’une fièvre élevée, il fut transféré aux soins intensifs. Il ne résista pas à cette énième attaque et mourut le 17 novembre suivant, à soixante-dix-neuf ans. Parmi les membres du Onze d’or, seuls Grosics et Buzánszky lui survécurent jusqu’en 2014 et 2015 respectivement. Le 9 décembre 2006, déclarée journée de deuil national, Ferenc Puskás fut enterré en grande pompe à la basilique Saint-Étienne de Budapest.

Depuis lors, la légende Puskás ne s’est pas ternie. En Hongrie, la municipalité de Kispest lui a dédié une rue. Le 1er avril 2007, jour où le major galopant aurait fêté ses quatre-vingts ans, l’équipe des jeunes espoirs du club hongrois Videoton a été rebaptisée Académie Puskás. Quant à la FIFA, elle a créé en 2009 le « Prix Puskás », qui récompense le plus beau but de l’année selon les internautes, parmi dix proposés. Quant à la veuve de Ferenc Puskás, elle a rejoint son mari adoré dans la mort le 12 août 2015. Elle repose désormais à ses côtés dans la basilique Saint-Étienne.