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Cole Porter, la quintessence du musical

 

 

Rythmes tour à tour endiablés ou langoureux, paroles humoristiques à forts sous-entendus, mélodies inoubliables… Même si elles ont été composées pour certaines depuis plus de quatre-vingts ans, les chansons de Cole Porter, telles « Night and Day », « I’ve got you under my skin », « My heart belongs to Daddy » ou encore « You’re the top », sont, comme les diamants, éternelles, constamment revisitées par des artistes très divers. Empereur de Broadway et roi de la comédie musicale hollywoodienne pendant des décennies, ce génie du jazz consacra sa vie à sa passion : la musique populaire.

Musicien précoce

Fils d’une riche héritière, Kate, qui lui avait donné son nom de jeune fille en guise de prénom, et d’un modeste pharmacien, Sam, Cole Porter vit le jour le 9 juin 1891 à Peru, dans l’Indiana. Pianiste et violoniste dès l’âge de six ans, il opta rapidement pour le seul piano, dont il jouait deux heures par jour pendant son enfance. Sa mère, elle aussi musicienne, l’accompagnait souvent dans son apprentissage, reprenant avec son fils des airs populaires connus. Précoce et visiblement doué, Cole composa sa première chanson pour piano dès l’âge de dix ans. « Song of the Birds » fut dédié à sa mère, qui fit imprimer cent exemplaires de la partition pour en faire profiter amis et membres de la famille.

Trépidante vie estudiantine

Excellent élève, Cole intégra la prestigieuse université de Yale. Il y prit rapidement son envol, qu’il soit musical ou plus intime — le jeune homme n’avait aucune ambiguïté quant à son goût prononcé pour la gent masculine. Pendant ses quatre ans d’université, il ne monta pas moins de six spectacles pour sa fraternité, Delta Kappa Epsilon, et la Yale Dramatic Association, entre autres, composa trois cents chansons, et développa un réseau de relations qui lui fut très utile pour démarrer sa carrière à Broadway quelques années plus tard.

Droit ou musique ?

Peur de l’avenir ou de l’insécurité liée à une carrière artistique ? Toujours est-il qu’au lieu d’embrasser une carrière de musicien, Cole Porter poursuivit ses études à la Harvard Law School, tentant de devenir juriste. Mais l’amour de la musique le rattrapa très vite… Au bout de sa deuxième année de droit, il rejoignit la section « arts and sciences » de la célèbre université pour étudier sérieusement la musique. Pourtant, sans doute pressé de vivre de son art et de montrer au monde ce dont il était capable, Cole abandonna les bancs de l’université avant d’être diplômé. Direction la Grosse Pomme !

Une vie de patachon à Paris

À vingt-cinq ans, en 1916, Cole connut un premier échec à Broadway, où son spectacle « See America First » ne transcenda pas les foules. Déçu, il quitta les États-Unis en juillet 1917 pour Paris. En dépit du conflit meurtrier qui déchirait alors l’Europe, il mena dans la capitale française une vie de patachon. Il prétendra plus tard (selon certaines sources) à la presse américaine qu’il aurait servi dans l’armée française et la légion, ce qui expliquait qu’il ne soit pas enrôlé par l’armée américaine… Au lieu de défendre le drapeau de l’Oncle Sam, Cole menait apparemment grand train avec la jet-set dans son luxueux appartement parisien, s’épanouissant socialement. Organisateur de fêtes plus folles les unes que les autres, où l’alcool coulait à flots et les substances illicites étaient servies sur un plateau, il conviait travestis, jet-setteurs de tous pays et musiciens internationaux à se côtoyer gaiement — et plus si affinités.

Union platonique

Avide de rencontres intimes, mais conscient de l’importance de donner une image convenable et rangée, Cole Porter épousa le 19 décembre 1919 Linda Thomas, une riche Américaine divorcée, de huit ans son aînée. Ce n’était pas la passion qui les muait, mais une réelle entente et un même moule social. L’homosexualité de Cole ne fut jamais une cause de mésentente entre ces deux très bons amis. Jusqu’au décès de Linda en 1954, le couple partagea une relation platonique. Premier soutien de son mari, Linda lui ouvrit toutes les portes possibles pour lancer sa carrière de compositeur.

 

Inspiration parisienne

Après quelques années passées dans le luxe de leur appartement parisien de la rue Monsieur, le couple poursuivit la dolce vita dans des palais vénitiens dès 1923, à la faveur de l’héritage de Cole Porter de son grand-père maternel. Encouragé par sa première fan, son épouse, il continuait de composer des chansons, entre deux fêtes extravagantes. En 1928, le musicien tenta de nouveau sa chance à Broadway, avec un spectacle intitulé « Paris ». Fort de deux « hits » encore aujourd’hui incontournables, « Let’s do it » et « Let’s misbehave! », cette comédie musicale remporta un franc succès. Tout naturellement, le cinéma s’intéressa à la nouvelle étoile montante de la scène new-yorkaise. Malheureusement, en dépit de leur qualité, ses compositions pour The Battle of Paris, produit par la Paramount, ne sauvèrent pas le film, qui fit un flop. Qu’importe, sa production suivante, elle aussi inspirée par Paris, « Fifty Million Frenchmen », fit un triomphe à Broadway, en attendant le succès phénoménal de son célèbre « Anything goes » en 1934. Sûr de son talent, Cole qualifia lui-même de « parfait » cet opus. Il réitérera ses propos en 1948 pour son fameux Kiss me Kate. Porté par le succès, Cole tenta de nouveau sa chance à Hollywood. Bien lui en prit : Born to dance (1936), avec James Stewart, remplit les caisses de la Metro Goldwyn Mayer.

Handicapé à vie

Un an plus tard, Cole fit une grave chute de cheval, se brisant les deux jambes. Hospitalisé pendant des mois, il fut très touché, sur le plan physique comme psychologique, et resta handicapé à vie. Jusqu’au bout, ses jambes le firent terriblement souffrir. La guerre se profilant en Europe, Linda ferma leur appartement parisien et acheta une propriété dans le Massachusetts. En 1940, le nouveau spectacle de son mari, Panama Hattie, engrangea cinq cent une représentations à la suite à New York. L’année suivante, Let’s face it!, avec Danny Kaye, fut encore plus triomphal, avec cinq cent quarante-sept représentations new-yorkaises !

Triomphe à Hollywood et Broadway

Entre deux comédies musicales à Broadway, Cole Porter poursuivit sa carrière hollywoodienne, composant des airs devenus rapidement des classiques, pour You’ll never get rich (1941), avec Fred Astaire et Rita Hayworth, ou encore The Pirate (1948), avec Judy Garland et Gene Kelly. Preuve de sa popularité, Cole vit sa propre vie — largement revisitée pour plaire à la censure — portée sur grand écran en 1946, dans Night and Day, avec Cary Grant dans la peau du musicien. Même si c’était une erreur de casting, le film fut un hit au box-office. Le succès ne se démentit pas à Broadway ni à Hollywood dans les années 1950, avec notamment Silk stockings(1955), suivi de son adaptation cinématographique en 1957. Même Grace Kelly s’essaya maladroitement mais délicieusement à la chanson avec « True Love », accompagnée de Bing Crosby, dans High Society (1956) !

Plus dure sera la chute

En dépit de ce triomphe, les années 1950 marquèrent le chant du cygne pour Cole Porter, touché par une série de drames. En 1952, sa mère adorée décéda. Deux ans plus tard, ce fut le tour de son épouse chérie, Linda. Comble de l’horreur, six ans plus tard, sa jambe droite dut être amputée, après avoir subi plus de trente opérations pour la sauver. Cette mutilation signa son arrêt de mort : Cole Porter dépérit sur tous les plans et ne créa plus jamais de musique. Le 15 octobre 1964, une insuffisance rénale eut raison de lui à Santa Monica (Californie).

Des compositions intemporelles

Depuis sa disparition, le génial compositeur et parolier fait partie du panthéon des génies américains du XXe siècle. Ses chansons ont traversé le temps, interprétées par les plus grands, dont Ella Fitzgerald,Frank Sinatra, mais aussi Annie Lennox, Dionne Warwick et même Stéphane Grappelli. En 2004, Kevin Kline le ressuscita dans De-Lovely, un film hommage donnant lieu à une bande originale interprétée par de nombreux artistes contemporains. Et en 2011, dans Midnight in Paris, Woody Allen en fit l’un de ses personnages. Si vous passez un jour par New York, allez faire un tour au célèbre hôtel Waldorf Astoria, où le musicien avait ses quartiers. Son piano y trône encore