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Sabotage

 

 

Le mot « sabotage », que l’on retrouve tel quel en anglais et en allemand (le fameux « zapotache »), et dans une forme adaptée dans d’autres idiomes comme l’espagnol, l’italien ou le portugais, est nimbé d’une aura à la fois militaire et surtout anarchiste, vestige de la IIIe République.

Frapper du pied

Au départ, le « sabotage » n’avait pourtant rien à voir avec les espions, les dérailleurs des chemins de fer ou les contestataires en tout genre. Il s’agissait tout simplement d’un dérivé de « sabot », qui a pour origine un terme du XIIe siècle, « çabot », lui-même fruit du mariage de « bot » (ancien français pour « botte ») et de « savate ». En ancien français, « saboter » signifiait « heurter ». Dès le XVIe siècle, ce verbe était attesté, mais dans une acception légèrement différente : frapper du pied.

Faire vite et mal

Comment en est-on arrivé à la signification martiale ou libertaire de « sabotage » ? Selon certaines sources, cependant jamais avérées, il s’agissait de décrire l’action d’ouvriers qui, mécontents de leur sort, exprimaient leur désaccord avec les décisions de leur patron en jetant dans les machines leurs sabots, mettant ainsi en panne leur outil de travail et paralysant l’usine (ou la ferme), et donc la productivité et les résultats. D’après Alain Rey et son Dictionnaire historique de la langue française, dès 1808, « saboter » signifiait « faire vite et mal ». Petit à petit, ce terme devint de plus en plus populaire, jusqu’à être adopté par le mouvement naissant des anarchistes, à partir de la fin du XIXe siècle.

Saboter un travail

Ainsi, le célèbre syndicaliste anarchiste Émile Pouget parlait en 1897 dans l’hebdomadaire qu’il avait fondé, Le Père Peinard, de l’« action de saboter un travail ». Puis pour que les choses soient complètement claires, il écrivit même un ouvrage en 1911 intitulé Le Sabotage.

 

En voici les premiers mots : « Le mot “sabotage” n’était, il y a encore une quinzaine d’années, qu’un terme argotique, signifiant non l’acte de fabriquer des sabots, mais celui, imagé et expressif, de travail exécuté “comme à coups de sabots”. Depuis, il s’est métamorphosé en une formule de combat social et c’est au Congrès Confédéral de Toulouse, en 1897, qu’il a reçu le baptême syndical. » Même si l’âge d’or de l’anarchisme se trouve largement derrière nous, le terme qui l’illustre si bien a survécu et est même resté dans le langage courant, le plus souvent pour qualifier les dégradations de matériel, d’équipements, de zones de stockage, etc., menées par l’armée ou par des organisations terroristes.

Boycotter

Il est un autre mot, venu de l’anglais, qui s’avère un cousin du « sabotage » made in anarchisme, et qui a lui gardé tout son sens de l’époque : le boycott. Retour en 1880, en Irlande. Un jour, les fermiers qui travaillaient sur les terres qu’un capitaine anglais, James Boycott, gérait pour le compte d’un… comte, ne purent plus supporter la dureté du régisseur. Ils se mirent tous d’accord pour mettre leur bourreau en quarantaine et ne cédèrent pas, même quand la garde envoyée par le gouvernement tenta de les faire changer d’avis par la force. Et c’est ainsi que le boycott devint, comme le sabotage, une forme d’action défensive ou directe.

Enfin, pour la petite anecdote, si vous passez un jour par Philadelphie, faites un tour dans la librairie Wooden Shoe (« chaussure de bois », autrement dit « sabot »), qui propose des ouvrages et autres articles… anarchistes bien sûr !