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Edie Sedgwick, le météore de la Factory

 

 

Née dans une famille de la haute société américaine, Edie Sedgwick avait tout pour réussir. De l’argent, un entourage en apparence aimant, la beauté. Rêvant de gloire et de rejoindre le firmament des superstars, elle vécut quelque temps son rêve, devenant l’égérie d’un certain Andy Warhol, qui en fit l’icône de son univers underground. Mais le démon de l’autodestruction s’était déjà emparé depuis longtemps de la pauvre petite fille riche, mentalement si instable. Drogue, alcool et médicaments devinrent son quotidien, jusqu’à la chute brutale, à 28 ans.

Pauvre petite fille riche

Edith Minturn Sedgwick naquit le 20 avril 1943 à Santa Barbara (Californie), la septième de huit enfants, au sein d’une famille de riches héritiers du pétrole. Sa branche paternelle était issue de l’une des plus grandes lignées du Massachusetts depuis le XVIIe siècle. Quant à sa famille maternelle, les De Forest, elle n’avait rien à envier aux Sedgwick. Son grand-père fut notamment le président du conseil d’administration de la compagnie de chemins de fer Southern Pacific.

Le père d’Edie, Francis Minturn Sedgwick, souffrait de graves problèmes psychologiques. Il tomba trois fois en dépression avant l’âge de vingt-cinq ans. Son médecin avait d’ailleurs recommandé qu’il n’ait jamais d’enfants. Cependant, il épousa Alice Delano De Forest, et le couple en mit huit au monde, entre 1931 et 1945… Étudiant à l’école de commerce de Harvard après son mariage, Francis fut contraint d’abandonner son cursus en raison de ses troubles mentaux, pour se consacrer à la philanthropie et à la sculpture.

Maltraitances parentales

Edie fut baptisée Edith Minturn en hommage à sa grand-tante paternelle. Même si elle et ses frères et sœurs grandirent dans la richesse et la haute société, leur enfance très peu conventionnelle et stable connut de nombreux heurts. La fratrie restait confinée dans les différents ranchs de la famille, où tous les enfants étaient même scolarisés. Leurs parents exerçaient un sévère contrôle sur eux, les séparant du reste du monde autant que possible et leur martelant qu’ils étaient supérieurs à tous les autres vivants. Pas étonnant qu’Edie commença à sombrer dans la boulimie au début de l’adolescence…

À treize ans, elle fut envoyée dans un internat près de San Francisco. Mais elle le quitta rapidement, apparemment en raison de son trouble du comportement alimentaire. Son père décida alors de la punir en la surveillant d’encore plus près et en étouffant autant que possible ce qui lui restait de liberté. Ses frères et sœurs étaient eux aussi en conflit avec leur père, tout en lui vouant une grande adoration. Narcissique et solitaire, Francis aimait tout contrôler et faisait parfois preuve de maltraitance. Il trompait sa femme ouvertement, et un jour, Edie le découvrit en pleine action avec l’une de ses maîtresses. Elle en fut très choquée, mais niant tout en bloc, son père prétendit qu’elle avait tout inventé, la gifla et demanda à un médecin de lui prescrire des tranquillisants.

Disparition tragique de deux frères

À 15 ans, Edie Sedgwick reprit le chemin de l’internat, mais son trouble du comportement alimentaire, qui s’était transformé en anorexie, l’obligea à quitter l’école de nouveau. À l’automne 1962, le père de la jeune fille insista pour qu’elle soit soignée dans un hôpital psychiatrique privé du Connecticut. Comme elle n’y était pas très bien surveillée, Edie continua à maigrir. On la transféra alors dans un établissement de New York, où la situation s’améliora quelque peu. Mais juste après en être sortie, elle tomba enceinte d’un étudiant de Harvard et fut contrainte d’avorter.

À l’automne 1963, Edie déménagea à Cambridge, dans le Massachusetts, et commença à étudier la sculpture avec une cousine. Elle intégra la faune des artistes et des étudiants un peu bohèmes de Harvard. Malheureusement, deux drames familiaux la frappèrent de plein fouet en l’espace de dix-huit mois. D’abord, le suicide de son frère Francis en 1964, alors qu’il avait été hospitalisé après plusieurs dépressions sévères. Lui aussi avait entretenu une relation très particulière et compliquée avec leur père. Puis l’année suivante, la mort accidentelle d’un autre frère, Robert, également affecté par des troubles mentaux, dans un accident de moto. Le véhicule vint s’encastrer dans un bus new-yorkais le soir du 31 décembre. Pour Edie, son frère s’était donné la mort.

Adoubée par le pape du Pop Art

À l’époque, cela faisait déjà un an que la jeune femme vivait à New York, qu’elle avait rejoint dans le but d’embrasser la carrière de mannequin. C’est à peu près le moment où on lui fit goûter du LSD, apparemment à son goût. Elle commença à prendre de la drogue régulièrement. En mars 1965, elle fit une rencontre décisive lors d’un dîner : celle d’Andy Warhol. Impressionné par son pedigree et sa beauté, le pape du Pop Art l’invita, avec son ami Chuck Wein, à faire un tour dans sa fameuse Factory. La jeune femme s’y rendit plusieurs fois, et à la faveur de l’une de ses visites, tourna dans Vinyl, une adaptation made in Warhol d’Orange Mécanique, tournée dans le studio. Au départ, seuls des hommes y jouaient, mais pour Edie, Andy fit une exception. Ce dernier lui demanda de faire une nouvelle apparition dans un autre de ses films, Horses.

Fasciné par cette créature tout en jambes, squelettique et totalement névrosée, Warhol décida de lui consacrer plusieurs longs-métrages. Le premier d’une série prévue de quatre, Poor Little Rich Girl fut filmé en partie dans l’appartement même d’Edie. Puis vint le tournage de Kitchen, suivi de Beauty n°2. Comme tous les films de la Factory, ceux-ci furent diffusés dans très peu de cinémas, de surcroît tous de la scène underground new-yorkaise. Autant dire que les recettes commerciales étaient proches de zéro…

La superstar de Warhol

En dépit de cette visibilité d’estime, la notoriété d’Edie Sedgwick grandit à New York et les médias grand public commencèrent à parler d’elle, en tant qu’égérie de Warhol, ainsi que pour son sens très personnel de la mode — dans ce court extrait d’interview, elle évoque la réaction de sa famille par rapport à ses ambitions et à son style de vie. Souvent vêtue d’un legging noir et de minirobes, elle arborait de très grands pendants d’oreilles. Ses cheveux bruns étaient coupés court et couverts d’une sorte de peinture argentée, ce qui lui donnait un air de ressemblance avec la couleur de la perruque portée par Warhol. Ce dernier la baptisa officiellement sa « superstar » et on les vit souvent immortalisés ensemble sur les photos prises lors des soirées auxquelles ils se rendaient. Ils ne se quittaient plus et apparurent même à la télévision — ici au Merv Griffin Show, en octobre 1965.

Cette relation éclair ne dura cependant pas plus de quelques mois. Après avoir tourné encore quelques films ensemble, dont Chelsea Girls, Andy et Edie virent leur belle amitié tourner au vinaigre. La jeune première lui demanda même de ne plus utiliser aucun rush où elle apparaissait. Ainsi, toutes ses scènes de Chelsea Girls furent coupées et finalement remontées dans un autre long-métrage, Afternoon. Après Lupe, son avant-dernier film à la Factory fin 1965, Edie tourna encore une ultime fois sous la houlette de son ex-mentor un an plus tard, dans The Andy Warhol Story. Mais cette œuvre ne fut diffusée qu’une seule fois, entre les seuls murs du studio.

Amoureuse de Bob Dylan

Après avoir été bannie de la Factory, Edie trouva refuge à l’hôtel Chelsea, où elle fit la rencontre de Bob Dylan. Avec ses amis, il réussit à convaincre la jeune femme de signer un contrat avec son imprésario. Prenant ses désirs pour des réalités, Edie était persuadée qu’elle serait bientôt à l’affiche d’un film grand public auprès de Dylan. Cela lui aurait permis de devenir véritablement connue. Surtout, elle s’était amourachée du chanteur. Et malheureusement, elle pensait que le sentiment était réciproque. Or Dylan avait épousé en secret sa petite amie, Sara Lownds, en novembre 1965. Selon certaines sources, ce fut Andy Warhol lui-même qui porta le coup fatal à l’actrice en lui révélant le pot aux roses début 1966.

L’auteur-compositeur-interprète a toujours nié avoir eu une relation amoureuse avec Edie, admettant seulement l’avoir rencontrée. Mais dans une interview, l’un des frères de l’ex-égérie warholienne a affirmé en 2006 que sa sœur était tombée enceinte de Dylan et qu’elle avait avorté peu de temps après avoir été victime d’un accident de moto. Une fois qu’elle fut hospitalisée, les médecins l’auraient traitée avant tout pour son addiction aux drogues, et voyant qu’elle attendait un enfant, l’auraient obligée à s’en débarrasser. Il n’existe cependant aucune preuve de ces affirmations… Ce qui est certain, c’est qu’à défaut de pouvoir avoir Dylan, Edie s’enticha de son ami, Bob Neuwirth. Une relation complexe et autodestructrice, qui ne fit qu’exagérer encore le penchant quasi naturel de la jeune femme pour la prise de barbituriques. À l’aube de 1967, fatigué des errements et des abus de sa compagne, Bob Neuwirth mit fin à leur relation.

D’hôpital en hôpital

Toujours en quête de reconnaissance, Edie Sedgwick auditionna pour Norman Mailer, à l’occasion de l’adaptation au théâtre de son livre The Deer Park. Mais l’auteur ne la choisit pas, craignant qu’elle mette trop d’elle-même dans le rôle, s’autodétruisant encore plus. La jeune femme regagna sans illusions l’univers interlope new-yorkais. En mars 1967, elle démarra le tournage d’un film semi-autobiographique underground, Ciao!Manhattan. Quand elle mit feu accidentellement à sa chambre d’hôtel, elle fut hospitalisée quelques jours en raison de ses brûlures.

Le tournage du film dut ensuite être totalement interrompu à cause la détérioration de la santé physique et mentale d’Edie, complètement détruite par l’abus d’opiacés. À partir de là, la vie de la jeune femme ne fut plus qu’une succession d’hospitalisations, notamment dans des établissements psychiatriques. Elle fit aussi une cure de repos au ranch familial, mais sa santé ne s’améliora pas. Lors d’un énième séjour à l’hôpital, après avoir été arrêtée par la police pour possession de drogue, Edie fit la connaissance d’un autre patient, Michael Brett Post, qu’elle épouserait le 24 juillet 1971.

Vingt-huit ans et puis s’en va

Voulant absolument que l’histoire de sa vie soit portée sur le grand écran, l’ex-mannequin reprit le tournage de Ciao!Manhattan pendant la seconde moitié de l’année 1970, notamment en Californie. Elle s’enregistra aussi, narrant les épisodes dramatiques de sa courte, douloureuse et tragique existence, des bandes-son que les deux réalisateurs, John Palmer et David Weisman, utilisèrent finalement dans leur long-métrage. Terminé début 1971, Ciao!Manhattan sortit sur les écrans en début d’année suivante. Mais Edie ne vit jamais le résultat. Pourtant, grâce à l’aide de son mari, elle réussit à se désintoxiquer pendant quelques mois. Exit l’alcool et la drogue ! Las… Quand en octobre 1971, un docteur lui prescrivit un antidouleur pour lutter contre un problème physique, la pauvre petite fille riche replongea illico dans l’enfer de l’addiction. Les barbituriques redevinrent ses meilleurs amis.

Le 15 novembre, elle se rendit à un défilé de mode au Santa Barbara Museum, où elle but plus que de raison. Elle appela ensuite Michael pour qu’il vienne la chercher. Sur le chemin du retour, Edie avoua à son mari qu’elle n’était plus certaine que leur mariage soit une bonne chose. Une fois à la maison, Michael administra à sa femme ses médicaments et celle-ci s’endormit très rapidement. Mais il ne put s’empêcher de remarquer qu’elle respirait avec peine. Il interpréta cela comme un effet secondaire de la consommation outrancière de tabac d’Edie. Mais quand il se réveilla le lendemain matin, Michael dut se rendre à l’évidence. Sa femme ne respirait plus. Les causes exactes de la mort d’Edie Sedgwick ne furent jamais élucidées. Overdose, accident, mort naturelle, suicide ? Son acte de décès indique qu’elle décéda probablement d’un abus médicamenteux et d’éthanol. L’étoile filante de la Factory avait vingt-huit ans.

De célèbres hommages

L’icône underground n’a cessé depuis sa disparition de hanter la culture populaire. Par exemple, « Femme Fatale », du Velvet Underground, et selon certaines sources, « Just Like a Woman » et « Leopard-Skin Pill-Box Hat », de l’album Blonde on Blonde de Bob Dylan, sont en réalité des hommages à Edie Sedgwick. Sa vie fut portée à l’écran en 2006 dans Factory Girl, avec Sienna Miller et Guy Pearce en Warhol. Pour en savoir plus, je vous invite à lire une biographie très fournie de Jean Stein. Edie: American Girl (Edie, la traduction française, est parue en 1987 chez Christian Bourgois) est préfacé par Norman Mailer.