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Roscoe Fatty Arbuckle : celui par qui le scandale arrive
Roscoe qui ? Il y a à peine cent ans, Roscoe « Fatty » Arbuckle était l’un des plus célèbres acteurs comiques du Hollywood de l’ère du muet et jouissait d’une popularité aussi imposante que son tour de taille. Pourtant, le 5 septembre 1921 à San Francisco, un événement tragique sonna le glas de sa carrière, donnant naissance au premier scandale de l’histoire du cinéma hollywoodien…
Un bébé sumo
Né le 24 mars 1887 à Smith Center (Kansas), Roscoe devait son surnom (abhorré) de « Fatty » depuis l’enfance à son poids : ce bébé sumo de 6 kg (!) à la naissance pesait déjà 84 kg à douze ans, puis entre 113 et 136 kg à l’âge adulte. Ses parents étaient pourtant de petits gabarits. Très vite suspicieux quant à sa paternité, son père décida, en guise de représailles contre ce pauvre innocent, de l’affubler du prénom d’un homme politique qu’il méprisait : Roscoe. Doté d’une magnifique voix qui aurait pu le mener sur les scènes d’opéra, Roscoe choisit plutôt le music-hall, où il excella dès l’adolescence. Très à l’aise avec son corps en dépit de sa surcharge pondérale, il était même doté de facultés acrobatiques et d’une agilité à toute épreuve.
Star du cinéma burlesque
Roscoe démarra sa carrière cinématographique en 1909 et quatre ans plus tard, à vingt-six ans, signa un contrat avec la Keystone Film Company de Mark Sennett. Ce réalisateur d’origine canadienne était le créateur du « slapstick » — un style d’humour impliquant de la violence physique exagérée et genre à part entière du cinéma burlesque américain (1912-1940). Roscoe rejoignit ainsi la célèbre troupe des « Keystone Cops », des policiers de fiction vulgaires et incompétents, jouant notamment aux côtés de Charlie Chaplin et de Buster Keaton. Ce fut le début de la gloire, car ce genre cinématographique fut l’un des plus populaires du cinéma muet entre 1912 et 1917. L’année 1918 équivalut à une apothéose pour « Fatty » : il signa un contrat de trois ans pour 3 millions de dollars (environ 43 millions de dollars en 2010) à la Paramount. Un montant faramineux à l’époque, même à Hollywood.
Alcool à volonté
Début septembre 1921, le jeune trentenaire, qui venait de finir le tournage de trois films, invita deux amis à faire la fête à San Francisco, le temps du week-end prolongé de « Labor day ». Arrivés le dimanche 4 septembre à l’hôtel St Francis, les trois compères prirent leurs quartiers dans une suite du onzième étage comprenant les chambres 1 219, 1 220 et 1 221. Au programme : alcool à volonté — la Prohibition battait pourtant son plein depuis 1920 — et petites pépées. Le lundi 5 septembre pendant toute la matinée, vêtu de son seul pyjama, Roscoe alla saluer les autres clients de l’hôtel, tout en partageant avec tous ses convives de grandes quantités d’alcool. Vers 15 heures, l’acteur retourna dans sa suite pour se changer, car il souhaitait faire un peu de tourisme avec l’un de ses amis. Son destin était scellé.
Une starlette mal en point
Selon « Fatty », en pénétrant dans sa chambre, il trouva l’une de ses invitées, une starlette de vingt-six ans nommée Virginia Rappe, en pleine crise de vomissement dans la salle de bains. Il l’aida à nettoyer, puis à se coucher sur un lit pour se reposer. Il ressortit de la pièce, mais à son retour quelques instants après, il trouva Virginia étendue sur le sol. Il appela alors ses amis à l’aide. En dépit de leurs efforts, aucun d’entre eux ne réussit à soulager la jeune femme. Le personnel de l’hôtel la transporta alors dans une autre chambre pour qu’elle se rétablisse. Roscoe s’habilla enfin, puis visita San Francisco, avant de reprendre le volant pour regagner Los Angeles.
Viol ou affabulation ?
Pendant trois jours, Virginia Rappe, en dépit d’un état de santé de plus en plus inquiétant, resta couchée dans sa chambre d’hôtel. Personne ne songea à l’emmener à l’hôpital, car tous ses visiteurs mettaient son état fébrile et nauséeux sur le compte d’une forte intoxication à l’alcool. Le jeudi 8 septembre, elle fut enfin hospitalisée d’urgence, mais trop tard pour la sauver. Virginia décéda le lendemain d’une péritonite, due à une rupture de la vessie. D’après celle qui l’accompagna à l’hôpital, Maude Delmont — une mère maquerelle qui faisait son possible pour trouver des secrets cachés afin de faire chanter tous ceux qui croisaient sa route —, Virginia serait morte des suites des assauts de « Fatty » : il l’aurait violée et la pression de son poids aurait causé des dommages internes irréversibles. D’après ce témoin, les invités auraient entendu les hurlements de la jeune femme, et voulant ouvrir, auraient trouvé porte close. Quand « Fatty » leur ouvrit finalement, Virginia gisait nue au sol, et saignait. Malgré ces accusations, le médecin de l’hôpital ne trouva aucune preuve physique d’un viol.
Un comique cloué au pilori
Le dimanche 11 septembre, Roscoe « Fatty » Arbuckle fut arrêté par la police avant d’être inculpé pour le meurtre de Virginia Rappe. La presse, notamment les journaux du magnat William Randolph Hearst, s’en donna à cœur joie, offrant au public moult détails obscènes. Selon les versions, « Fatty » aurait abusé de sa victime avec un morceau de glace, une bouteille de Coca-Cola, voire de champagne ! Prenant le parti de la victime, les journalistes clouèrent le comique au pilori, ignorant les nombreux avortements de Virginia, dont un qui se serait produit très peu de temps avant la fête. La jeune femme souffrait aussi de cystite chronique, une affection qui dégénérait avec l’ingestion d’alcool. Ses compagnons de beuverie avaient remarqué que la douleur ressentie la faisait toujours se tortiller en arrachant ses vêtements. Cela n’empêchait pas Virginia de boire plus que de raison aux nombreuses soirées auxquelles elle assistait.
Acquittement et excuses
Roscoe, hier superstar du muet, devint du jour au lendemain le symbole de l’immoralité d’Hollywood. De nombreuses associations de sauvegarde de la morale réclamèrent sa chute à cor et à cri. Son procès débuta en novembre 1921, pour homicide involontaire. Les jurés ne parvenant pas à prendre une décision, un nouveau procès dut être organisé. Celui-ci aboutit aussi à une impasse, aucune majorité ne se profilant à l’horizon ! Le troisième et dernier procès se déroula en mars 1922. La défense se montra particulièrement dynamique et le seul et unique témoin de l’accusation s’étant défilé, le verdict tomba enfin : acquittement. Roscoe « Fatty » Arbuckle reçut même du jury une lettre d’excuses, reconnaissant son irresponsabilité dans la mort de la jeune starlette et la gravité du tort qu’il avait subi. L’acteur fut toutefois condamné à 500 dollars d’amende pour consommation d’alcool, mais ses frais d’avocats s’élevant à plus de 700 000 dollars (environ 10 millions de dollars de 2022), il fut contraint de vendre sa demeure et ses voitures pour se désendetter.
Come-back raté
Son honneur enfin lavé, Roscoe espérait reprendre sa carrière. Las… « Fatty » fut le premier acteur « blacklisté » d’Hollywood. En avril 1922, William Hays, président du Motion Picture Association of America (MPAA) — un syndicat chargé de défendre les droits des studios hollywoodiens —, lui interdit de tourner de nouveau et prohiba même la projection de ses films. La punition fut levée en décembre, mais ces quelques mois d’absence eurent raison de la carrière du comique. À partir de 1924, Roscoe tenta un come-back en tant que réalisateur, sous le nom de William B. Goodrich (d’après les prénoms de son père, William Goodrich).
Crise fatale
Après plus de dix ans de patience, « Fatty » signa enfin un contrat le 29 juin 1933 chez Warner Brothers pour jouer de nouveau la comédie. Fou de joie, il en profita pour fêter aussi le soir même son anniversaire de mariage avec sa troisième épouse. Les fans du comique ne revirent jamais leur vedette dans les salles obscures : Roscoe succomba dans la nuit à une crise cardiaque. Il avait quarante-six ans. Pour (re)découvrir Roscoe « Fatty » Arbuckle, voici un extrait de deux de ses films avec Buster Keaton : « Coney Island » (1917) : et « The Hayseed » (1919).