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Violette Nozière, parricide et sainte

 

 

Le 21 août 1933, Violette Nozière, une Parisienne précoce aux mœurs très légères, mettait fin aux jours de son père, Baptiste et attentait à la vie de sa mère, Germaine. Comment l’adolescente de dix-huit avait pu-t-elle en arriver là ?

Une fille capricieuse

Née le 11 janvier 1915, Violette Nozière grandit dans un deux pièces-cuisine exigu du 12e arrondissement, 9 rue de Madagascar. Baptiste, cheminot de la fameuse ligne Paris-Lyon-Méditerranée, est naïf et gentil. Germaine, mécanicienne pendant la Première Guerre mondiale, est possessive et faible. Tous deux adorent leur fille et lui passent tous ses caprices.

Prise la main dans le sac

Choyée, Violette abhorre pourtant cet univers médiocre, sans intimité, qu’elle trouve étouffant et auquel elle veut échapper. Formée très tôt, elle plaît aux garçons, d’abord à la campagne, à Neuvy-sur-Loire (Nièvre), d’où est originaire sa mère et où elle passe ses vacances, puis à Paris. Avec sa copine Maddy, elle fait tourner les têtes. Elle cède assez vite à la tentation de la chair, sur les conseils de son amie, qui lui en a vanté les plaisirs. Mais cette première expérience la laisse sur sa faim. Elle multiplie alors les aventures et passe son temps au Quartier Latin, dans les cafés. Violette Nozière est coquette et a besoin d’argent pour mener grand train. Son premier larcin est un vol de dictionnaire devant une librairie. Le libraire, qui l’a prise la main dans le sac, demande de l’argent à ses parents, menaçant de la dénoncer à la police. Baptiste Nozière s’exécute.

Un double jeu dangereux

Violette sèche les cours et intercepte les plaintes du lycée, destinées à ses parents. Son manège finit par être découvert et Baptiste et Germaine redoublent d’attention. Mais l’enfant terrible les mène par le bout du nez. Quand Germaine vient chercher sa fille à l’école, celle-ci se mêle à ses camarades à la sortie des classes, sans bien entendu y avoir mis les pieds. Elle sait se montrer affectueuse avec ses parents, et joue souvent aux cartes avec son père.

Un petit billet après l’extase

Violette Nozière commence à voler dans le porte-monnaie de ses parents et se prostitue occasionnellement. Elle ne fait pas vraiment le trottoir, mais ne refuse pas la générosité de ses amants de passage ou leur fait comprendre après l’extase qu’un petit billet serait le bienvenu. Un certain Monsieur Émile, industriel marié âgé d’une soixantaine d’années, pourvoit de temps en temps aux besoins matériels de la belle, moyennant un dîner en tête-à-tête et très probablement plus si affinités.

La syphilis à dix-sept ans

Souffrant de ganglions dans la région du cou, perdant ses cheveux, fiévreuse et sujette aux maux de tête, Violette consulte en avril 1932 le Docteur Déron, à l’hôpital Bichat. Verdict : syphilis. La jeune fille de dix-sept ans incrimine Pierre, un étudiant en médecine et amant occasionnel. Elle consulte le médecin tous les deux mois pour se soigner et en profite pour inventer une sœur au docteur, Janine, qui l’invite souvent à sortir. Germaine et Baptiste Nozière ne peuvent que se réjouir de ces bonnes fréquentations ! Mais le mal empire. Pour éviter le courroux familial, elle demande au docteur de lui dresser un certificat de virginité. Ce dernier s’exécute. Il convoque Baptiste Nozière en mars 1933 pour lui parler du mal dont souffre Violette, insinuant qu’il est héréditaire. Troublé, le pauvre père en oublie de remercier le docteur pour les bons soins que sa sœur prodigue à l’adolescente. Dommage pour lui…

Tentative de parricide

Ne supportant plus la prison familiale, manquant cruellement d’argent pour satisfaire ses besoins, Violette Nozière ne voit qu’une solution : tuer ses parents pour hériter de la somme rondelette qu’ils ont mise de côté au prix d’efforts conséquents au fil des ans. Prétextant des insomnies à répétition, elle se procure plusieurs tubes d’un somnifère puissant. Fin mars 1933, elle tente ainsi d’empoisonner ses parents, prétextant que la poudre est un remède prescrit par le Docteur Déron. La tentative échoue. Ses parents, hospitalisés pour intoxication, commencent à avoir des soupçons et envoient Violette en vacances forcées dans la famille de Baptiste, à Prades (Pyrénées Orientales).

Tout pour son amant

De retour à Paris en juin, Violette reprend ses bonnes habitudes. Le 30 juin, elle fait la rencontre de sa vie. Jean Dabin (ça ne s’invente pas) est étudiant en droit. Sa qualité première : donner du plaisir à Violette. Son défaut principal ? Compter sur sa petite amie pour l’entretenir. Folle amoureuse, perdue dans la tourmente des sens, Violette Nozièremultiplie les larcins et les passes pour pourvoir aux besoins de son cher Jean. Ils font même des projets de mariage. Le jeune homme doit partir en août aux Sables d’Olonnes pour les vacances.

Nouveau stratagème

Désespérée et résolue à vivre la grande vie avec son amant, Violette retourne s’approvisionner en somnifères. Cette fois, elle veut en finir avec ses parents. Le 21 août 1933, elle refait le coup de la poudre prescrite par le médecin. Mais son père se méfie. Il décide d’aller la montrer au pharmacien. Emmenant Violette avec lui, il tombe sur un camarade cheminot. Les deux hommes discutent un bon quart d’heure, tandis que Violette joue à la bonne petite fille bien sage, sans doute morte de peur que son stratagème ne soit dévoilé. Heureusement pour elle, après cet échange avec son collègue, Baptiste estime qu’il est trop tard pour aller à la pharmacie. Ils remontent et le couple boit le breuvage, tellement dégoûtant que Germaine en recrache la moitié. Sage réaction !

Recherchée dans tout Paris

Une fois ses parents tombés à terre sous l’effet des somnifères, Violette Nozière fuit le domicile parental. De retour vers 2 heures du matin, elle ouvre le gaz, puis alerte un voisin, prétextant ne pas vouloir rentrer chez elle en raison des effluves qui envahissent le couloir. Le voisin ouvre la porte, puis les fenêtres, et ferme le gaz. Les époux Nozière sont sur leur lit. Qui les a portés là ? Violette niera toujours l’avoir fait. Baptiste a succombé aux somnifères, mais Germaine respire encore. Elle est transportée à l’hôpital. Quand la police arrive, le commissaire demande à ce que Violette le rejoigne à l’hôpital le soir même. Mais la jeune parricide n’obtempère pas et erre dans Paris. Elle finit par être arrêtée le 28 août… dénoncée par un jeune homme à qui elle avait donné rendez-vous ! Le portrait de la jeune fille figurait dans tous les journaux et elle se savait recherchée.

Des accusations infondées

Arrêtée, Violette Nozière est vilipendée par sa mère, qui ne la considère plus comme sa fille. Sa colère est à la mesure de l’amour aveugle qu’elle lui portait avant le crime. Ce courroux ne fait que se décupler quand l’argument avancé par Violette pour se disculper, ou expliquer son geste, est une accusation sans appel : son père la violait. Germaine récuse cette ignominie et les preuves que Violette essaie d’apporter pour appuyer ses déclarations sont d’ailleurs très faibles.

Muse des surréalistes

Enfermée à la prison de la Petite-Roquette, la jeune fille attend son procès, qui se déroulera en octobre 1934. Pendant les cinq mois que dure l’instruction, les journaux se déchaînent, et les chanteurs de rue s’époumonent au son de l’accordéon. Puis les surréalistes font de l’affaire Nozière un de leurs sujets d’inspiration. Violette est devenue leur muse. Un ouvrage de poèmes portant son nom paraît même en décembre 1933, signé par les plus grands représentants du surréalisme, dont André Breton. Ses juges, eux, font preuve de moins de mansuétude.

Pardon maternel

À l’issue de son procès, Violette Nozière écope de la peine capitale. Son avocat, Me de Vésinne-Larue, introduit immédiatement un recours en grâce auprès du président de la République, Albert Lebrun. Ironie du sort, Baptiste Nozière avait eu le grand honneur de conduire un train qui transportait le président en juillet 1933. Ce dernier le savait-il seulement ? Toujours est-il que l’homme d’État entend les arguments de l’avocat et commue en travaux forcés à perpétuité la peine de mort. Pendant le procès, Germaine Nozière avait fait volte-face et pardonné à sa fille, implorant les jurés de faire de même. Avant le départ de Violette pour Haguenau, en Alsace, elle rend visite à sa fille et jure de tout faire pour la protéger. Les deux femmes se voueront une tendresse éternelle dès lors.

De la perversion à la sainteté

En prison, la jeune fille frivole et perverse se mue petit à petit en détenue modèle. De plus en plus croyante, elle envisage même de prendre le voile si un beau jour elle sort de prison. Son avocat fait en effet des pieds et des mains pour adoucir sa peine. En pleine Seconde Guerre mondiale, il atteint son but : le maréchal Pétain commue la peine de travaux forcés en douze ans de prison. Le 29 août 1945, Violette Nozière quitte sa geôle, accompagnée d’un jeune homme, son futur mari. Pierre Garnier est le fils du greffier-comptable de la prison. Ensemble, ils auront cinq enfants. Germaine Nozière ne les quittera pas.

La réhabilitation avant la mort

Jusqu’en 1960, la famille Garnier vit dans le bonheur. En juillet, Pierre se blesse gravement dans un accident de voiture. Il ne s’en remettra jamais et meurt le 30 juin de l’année suivante. Fin 1962, Violette, souvent prise de syncopes et extrêmement fatiguée, consulte un médecin : c’est un cancer des os qui la ronge. Le 18 mars 1963, son avocat l’appelle pour lui annoncer une excellente nouvelle : la justice l’a réhabilitée ! En dépit de cette décision qui lave son honneur, Violette Nozière ne résiste pas à la maladie qui l’emporte le 28 novembre 1966 au Petit-Quevilly, près de Rouen. Elle repose dans le caveau familial de Neuvy-sur-Loire, près de son père et de son mari. Elle y sera rejointe par sa mère en août 1968.

Sous la plume de Colette

Une douzaine d’années après sa disparition, Violette Nozière refaisait la une des journaux, cette fois en raison du film éponyme signé Claude Chabrol, avec Isabelle Huppert, retraçant le crime de cette coupable de parricide. Mais rien ne vaut la réalité : les articles parus à l’époque du procès, dont certains signés de la grande Colette, qui officiait en tant que chroniqueuse judiciaire, permettent de mieux percevoir à quel point cette affaire déchaîna les passions dans la presse et l’opinion publique des années 1930.