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grasseyement
N’en déplaise aux fans d’Édith Piaf, de Jacques Brel ou encore de Mireille Mathieu et autres Michèle Torr — oui, il y en a ! — j’ai du mal à supporter leur façon de prononcer la lettre « r » dans leurs chansons (en fait, pour être honnête, ce n’est pas la seule chose que je n’apprécie pas dans leur répertoire, mais ceci est une autre histoire).
Quelle idée absurde, voire ridicule, d’insister de façon aussi obsédante sur cette consonne ! Le français a cette chance d’avoir un « r » prononcé discrètement, presque comme une caresse, à la fois profonde et légère. Je sais, c’est une drôle de comparaison, mais en tout cas, notre « r » n’a rien en commun avec ce grasseyement, puisque c’est ainsi que se nomme cette façon si particulière de déformer la prononciation de cette malheureuse lettre.
Le parler gras
Il semble que cette lubie du grasseyement visait en réalité à pallier l’absence de micros, tout en s’inspirant des techniques du chant lyrique, où le « r » est au minimum roulé, pour être mieux entendu… C’est donc devenu une technique appréciée des chanteurs de cabaret et de rue, à la fin du XIXe puis au début du XXe siècle. Ce n’est qu’à partir des années 1950 que les artistes ont petit à petit cessé de grasseyer. (Sauf sans doute pour ceux dont c’était devenu la marque de fabrique.)
« Grasseyer » ou « grasséier » signifie « parler gras », une belle image vous en conviendrez ! Elle est apparue à partir de la fin du XVIIe siècle, quand le « r » roulé (aussi appelé « apical ») a définitivement cédé la place — ouf ! — au « r » uvulaire (du latin uvula ou « luette »), ou encore « grasseyé ». Cependant, ce dernier n’avait en réalité rien à voir avec les futures élucubrations « piafesques » ou « brelesques », puisque les locuteurs n’arrivaient pas à prononcer le « r » correctement…
Le grasseyement affecté
Le sens de ce mot est même allé jusqu’à signifier l’incapacité à prononcer certaines lettres, dont le « r » bien sûr. Il existait aussi un grasseyement affecté, qui consistait à carrément omettre ce son. Les Incroyables et les Merveilleuses, ces dandys et extravagantes du Directoire, trouvaient ainsi fort sympathique de ne pas prononcer le « r ». Une mode d’un autre temps, tout comme, heureusement, les excentricités articulatoires d’Édith et de ses pairs.