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« Nous partager » et « Ça fait ma journée »
 

 

Depuis une vingtaine d’années, j’entends (et lis parfois) de plus en plus « Je vais vous partager mon expérience », ou « Peux-tu nous partager ton document ? », le tout décliné à toutes les sauces et tous les cas de figure possibles et imaginables. Plus récemment, une expression tout aussi grammaticalement fautive, mais encore plus invraisemblable, heurte souvent mes oreilles et mes yeux : le presque fameux « Ça fait ma journée ! » Bien entendu suivi d’une flopée d’émoticônes censées signifier qu’on va mourir de rire. D’où viennent ces dérives linguistiques ? D’une maladie chronique et apparemment incurable : l’anglicisme aigu.

« Nous partager », un anglicisme caché

Faisons d’abord un petit point de grammaire. « Partager » est un verbe transitif, autrement dit, il s’emploie toujours avec un complément d’objet direct (COD). Pour le moment, les adeptes du « nous partager » ont tout bon. Mais c’est après que ça se gâte ! Ce verbe implique en effet l’emploi d’autres compléments, introduits par des prépositions comme « avec », « entre » et « en ». Ainsi, on partage toujours un document ou une expérience « avec quelqu’un ».

Autre écueil de cette mauvaise habitude linguistique, particulièrement appréciée des communicants, des YouTubeurs et de certains spécialistes du développement personnel, le sens donné au mot « partager ». Ce verbe est en train de devenir la seule et unique façon d’exprimer l’action de communiquer. Et tout ça parce qu’en anglais « to share » signifie parfois « communiquer »…

Pourtant, la langue française a plus d’un tour dans son sac. Mieux vaut préciser sa pensée et respecter la grammaire en employant plutôt « exprimer », « faire part de », « raconter », « émettre », « exprimer », « communiquer », et « faire partager », selon le contexte. Alors par exemple, au lieu de dire « Ils nous ont partagé les derniers événements », optez pour « Ils nous ont fait part des derniers événements ».

« Ça fait ma journée », un anglicisme assumé

« It made my day! », disent les Anglo-Saxons pour signifier que tel ou tel événement ou nouvelle les enchante, ou encore les rend heureux. Et voilà que certains Français, sans doute sans savoir d’où cela provient, se délectent à ponctuer leurs conversations en ligne de « Ça fait ma journée ! » ou « Ça fait ma soirée ! », c’est selon. En général pour montrer que la chose qu’on leur a annoncée les fait bien rire — et non les rend heureux, comme en anglais.

Cette pollution visuelle et grammaticale est-elle bien utile ? Je dirais qu’elle me semble avant tout futile et totalement déplacée. Pourquoi céder toujours aux sirènes des nouvelles tendances linguistiques, surtout quand elles pullulent sur le Net, sans se demander ce que cela veut dire et d’où cela vient ?

L’origine des mots, leur étymologie nous apprennent beaucoup de choses sur la culture d’un pays. Mais la traduction littérale d’expressions ne fait souvent qu’appauvrir un idiome, qui en général regorge déjà de nombreuses façons d’exprimer la même chose. Mais avec du sens. Une différence non négligeable…